Wednesday, 20 February 2019

Permis de conduire: faut-il se laisser tenter par les auto-écoles en ligne?

Jusqu'ici, c'était simple : pour passer le permis, on se tournait vers l'auto-école du quartier. Trente heures de conduite plus tard et le compte bancaire délesté de 1600 € (il s'agit de valeurs moyennes), on pouvait enfin glisser le précieux carton rose dans sa poche. Puis en 2013 sont apparus de nouveaux acteurs de la formation à la conduite, en l'occurrence des plates-formes internet qui d'une part proposent des formations au code en ligne, et de l'autre mettent en contact des aspirants conducteurs et des formateurs indépendants et non plus salariés. Il en résulte une prestation assurée à des tarifs diminués quasiment de moitié par rapport à ceux des établissements traditionnels, et avec des taux de réussite qui seraient sensiblement supérieurs à la moyenne nationale. En d'autres termes, les prix bas semblent ne pas nuire à la qualité pédagogique.

Cela revient à proposer le beurre et l'argent du beurre au million d'apprentis conducteurs dénombrés chaque année (précisément 1 026 414 inscrits au permis B en 2015), et dont une part croissante - bien qu'encore symbolique, certes - se détourne des établissements traditionnels. Sommes-nous à la veille d'une révolution du système de formation à la conduite, ou confrontés à des promesses trop belles pour être vraies ?

Une formation comme les autres ?
« 29,90 € pour passer le code de la route », « 675 € pour le forfait code + 20 heures de conduite », « taux de réussite nettement supérieur à la moyenne nationale », « formations flexibles », « moins de trois mois pour obtenir votre permis », etc. : le moins que l'on puisse dire est que les auto-écoles « en ligne » ne manquent pas d'arguments. Les témoignages d'utilisateurs satisfaits fourmillent d'ailleurs sur Facebook, les forums Internet ainsi que sur les sites regroupant des avis de clients, tandis que ceux des mécontents y demeurent marginaux (exemples ici). Un état des lieux plutôt positif, donc, pour ces organismes qui n'existaient pas il y a cinq ans et qui ont pris leur essor à la faveur de la mise en œuvre de la loi Macron de 2015, laquelle s'intéresse entre autres au permis de conduire.

Concrètement, ces « auto-écoles par Internet » proposent des formations au code de la route à distance, pour s'entraîner de chez soi avec une tablette ou un ordinateur, ainsi que des heures de conduites délivrées par des moniteurs indépendants, tous titulaires du Bepecaser, diplôme dont la réalité est censée être vérifiée par les organismes. Les prises de rendez-vous se font par Internet, l'enseignant se présentant à l'heure et à l'endroit dits avec une voiture à l'équipement ad hoc (doubles commandes, doubles rétroviseurs, etc.) et dont il est propriétaire ou locataire, après quoi démarre une séance de cours tout ce qu'il y a de classique.

Evaluation réciproque
Pour l'élève, le processus d'apprentissage sera donc identique à celui d'une auto-école normale. Pour le moniteur aussi, si ce n'est que lui aussi est évalué par l'élève, qui peut donner des commentaires à son sujet ou, si l'entente n'est pas bonne, en changer (du moins si un autre moniteur indépendant exerce dans le secteur).

En fin de processus, après avoir constitué lui-même son dossier d'inscription et adressé celui-ci à la préfecture, l'élève se présente à l'épreuve de conduite en candidat libre (1495 permis B ainsi délivrés en 2015, avec un taux de réussite de 54,56%). Ce qui, du point de vue des inspecteurs, ne change rien : « nous, à la base, on n'a rien contre ces plates-formes », explique à Caradisiac Laurent Deville, secrétaire général adjoint du Syndicat national Force Ouvrière des inspecteurs (SNICA-FO) ultra-majoritaire. « Les aspirants conducteurs qui en sortent appartiennent à la catégorie des candidats libres, ce sont des usagers comme les autres que l'on juge uniquement sur leurs compétences. » Les statistiques semblent lui donner raison : Ornikar, leader du secteur, annonce ainsi un taux de réussite de 76% (chiffre identique pour En voiture Simone, d'ailleurs) , supérieur à la moyenne nationale qui s'établit à 60%. Par quel miracle est-ce possible ? « Les parents ont encore du mal à faire confiance aux plates-formes Internet, et du coup continuent d'orienter leurs enfants de 18-20 ans dans les écoles traditionnelles », commente Benjamin Gaignault, patron d'Ornikar, qui annonce un total de plus de 46 000 inscrits depuis sa création en décembre 2013 avec l'ambition de réduire de moitié le coût du permis. « La moyenne d'âge de nos clients est de 25 ans, c'est-à-dire des gens à la maturité supérieure et qui le plus souvent s'autofinancent. Ce sont donc des élèves plus appliqués, ce qui se ressent sur les résultats. »

Elèves en carafe
La question de la confiance que l'on peut accorder à ces plates-formes est légitime. Le 5 avril dernier, le tribunal de commerce de Lyon plaçait en redressement judiciaire Permigo, start-up créée en 2014, qui pourrait compter, selon Les Echos, quelques 8 000 élèves en formation. On devrait connaître l'identité d'un éventuel repreneur le 9 mai pour cette société qui se vantait d'être la seule plate-forme disposant de locaux « en dur » et de disposer de moniteurs salariés. « Franchement, on se demandait bien comment leur modèle économique fonctionnait », comment Benjamin Gaignault. « Je les ai longtemps pris pour des magiciens, mais maintenant je comprends mieux : ils ne pouvaient pas proposer des tarifs aussi bas en s'imposant des charges aussi lourdes. Ce n'était simplement pas viable. » Les faits semblent donner raison au jeune homme.

Uberisation vs. sclérose
Quelle que soit l'issue de l'affaire, elle contribue à nourrir la défiance vis-à-vis de l'« uberisation » du métier que dénoncent certaines auto-écoles classiques. A l'appel de l'intersyndicale CNPA-Unidec, quelques centaines de voitures d'auto-écoles ont organisé des opérations escargot le 18 avril dernier dans plusieurs grandes villes afin de protester contre la dématérialisation des procédures contenue dans le plan « Préfectures nouvelle génération » qui, selon elles « va favoriser les plates-formes en ligne au détriment de l'Éducation Routière agréée ». Il est plus précisément question de l'inscription au permis de conduire, que les auto-écoles facturaient jusqu'ici aux élèves.

Mais le contentieux porte plus loin, selon Patrice Bessone, Président du CNPA Education routière (qui annonce représenter 11 000 auto-écoles): « les plates-formes Internet évoluent en marge de la réglementation. Pour enseigner à titre onéreux, il faut un agrément préfectoral, que l'on n'obtient que si on dispose d'un local et que l'on emploie des enseignants agréés. Les plates-formes se mettent hors-la-loi en faisant travailler des formateurs dont on n'a même pas la certitude qu'ils sont diplômés, et on ne sait rien des équipes pédagogiques. Il faut reclasser en travail illégal toutes les personnes qui emploient des indépendants. A force de chercher du low-cost partout, il y a de très mauvais jours qui se préparent en matière de sécurité routière ! »

Nouvelle donne
La charge est lourde, mais ne déstabilise pas Benjamin Gaignault (Ornikar). « De toute façon, les auto-écoles font elles-mêmes appel à des indépendants quand elles sont en période de rush ! Quant aux syndicats de la profession, ils n'hésitent pas à inventer certains textes de loi quand cela sert leur propos. Et vous vous doutez bien qu'avec toutes les délations dont on a pu être l'objet ces dernières années, on aurait fermé nos portes depuis longtemps si une fraude avait été avérée ! » La Sécurité routière, contactée par nos soins, préfère botter en touche : « à partir du moment où les plates-formes d'auto-écoles par Internet reçoivent l'agrément préfectoral, on n'a pas grand-chose à en dire. »

Dans un communiqué, l'auto-école en ligne agréée En voiture Simone s'élève quant à elle contre les amalgames : « Il ne s'agit pas d'uberisation, loin de là. Le secteur de l'auto-école a un retard dans le numérique qui est considérable. Les procédures administratives qui y étaient associées n'ont pas évolué depuis des dizaines d'années. Le gouvernement a simplement fait en sorte qu'elles correspondent aux outils d'aujourd'hui et aux usages des personnes qui passent le permis de conduire. »

Là réside en effet le nœud du problème pour des auto-écoles « à l'ancienne », qui se battent depuis des années dans un environnement sclérosé, entre pénurie de places d'examen (phénomène qui s'est d'ailleurs nettement atténué) et charges élevées. Les plates-formes Internet, dont on rappelle qu'elles ne représentent aujourd'hui qu'une petite partie du marché de l'apprentissage de la conduite (même si un Ornikar revendique actuellement un vivier de 100 moniteurs en activité pour 2000 élèves inscrits chaque mois, dont 1 600 aux épreuves théoriques, ce qui en fait la plus grande auto-école de France), ne feraient qu'accélérer le bouleversement d'un système aujourd'hui dépassé. Avec, du côté des professionnels concernés, une amertume parfaitement légitime.

Le bilan : Carton rosse

- Tarif: (net) avantage plates-formes Internet

- Facilité d'organisation: égalité

- Qualité de la formation: avantage auto-écoles, notamment parce qu'on sait mieux à qui on a affaire.

- Taux de réussite (examen théorique et pratique): (léger) avantage plates-formes Internet

Les plates-formes d'auto-écoles n'occupent encore qu'une part infime du marché de l'apprentissage de la conduite : alors que 847 123 permis B ont été délivrés en 2015 (derniers chiffres disponibles) dans le cadre de la filière classique, seuls 1 495 l'ont été à des candidats libres (et on ignore quelle part de ces 1 495 a eu recours aux plates-formes en ligne), soit un pourcentage de 0,176%. On pourrait donc penser que les auto-écoles s'inquiètent pour bien peu de choses. Pour autant, avec leurs tarifs ajustés et une crédibilité qui semble de plus en plus reconnue, les plates-formes devraient se développer rapidement dans les années qui viennent. Comme pour les taxis et les VTC, il va falloir que tout le monde apprenne à cohabiter, avec pour les auto-écoles la nécessité de mettre encore plus l'accent sur les qualités pédagogiques (donner de "vrais" cours de code, notamment) et de cultiver leur ancrage local. Sinon quoi leur déclin s'annonce inexorable.

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